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Agrément anti-corruption : à l’occasion de son renouvellement, Sherpa revient sur les limites du dispositif

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Agrément-Sherpa

Par un arrêté publié au journal officiel le 19 novembre 2022, le ministre de la Justice a renouvelé l’agrément de lutte contre la corruption de l’association Sherpa [1]. Si l’association se réjouit de ce renouvellement, elle alerte néanmoins sur les limites inhérentes à ce dispositif. D’autres solutions existent pour faire avancer la lutte contre l’impunité des criminels en col blanc. 

L’agrément anti-corruption permet à des associations d’exercer « l’action civile » dans des affaires de corruption, c’est à dire de déclencher la recherche et la poursuite des auteurs d’infractions dans le cadre d’une information judiciaire conduite par un juge d’instruction, magistrat indépendant. Cette action joue un rôle crucial dans la lutte contre l’impunité des criminels en col blanc.

En particulier, elle constitue un rempart à l’inertie potentielle du procureur de la République, censé poursuivre les auteurs d’infractions mais soumis hiérarchiquement à l’exécutif. Dans les affaires qui mettent en jeu des intérêts politiques, diplomatiques ou économiques, comme les affaires de corruption internationale, cette soumission hiérarchique du parquet peut entraver le déclenchement des poursuites. Des associations comme Sherpa et Transparency International ont ainsi pu déclencher des informations judiciaires et obtenir des condamnations, et ce en dépit des réticences du parquet, à l’instar de l’affaire des biens mal acquis.

Toutefois, le système d’agrément présente d’importantes failles.

Tout d’abord, l’agrément est délivré par le ministre de la Justice, selon des critères vagues. L’action des associations anti-corruption dépend ainsi d’une décision gouvernementale alors qu’elle devrait atténuer les effets de la soumission hiérarchique du procureur à l’exécutif. Cette situation génère un risque important d’arbitraire, porte atteinte à la sécurité juridique des structures et met en péril la continuité de leurs activités. La signature d’un « contrat d’engagement républicain » aux dispositions floues, exigée depuis la Loi « Séparatisme » du 24 août 2021, accroit le risque d’arbitraire. Sherpa a d’ailleurs formé un recours contre le décret d’application du texte aux côtés de plusieurs associations.

Par ailleurs, cet agrément est délivré pour une durée de trois ans, inadaptée au temps judiciaire. Aussi, seules trois associations sont actuellement agréées anti-corruption en France [2], et deux d’entre elles ont rencontré d’importantes difficultés pour renouveler leurs agréments.

Enfin, la création de cet agrément en 2013 constitue une régression dans la mesure où auparavant, toute association ayant pour objet la lutte contre la corruption pouvait agir contre des atteintes à la probité, sans limite quant aux infractions en cause. A l’heure actuelle, en dehors des infractions visées par le dispositif d’agrément, les associations anti-corruption ne sont plus recevables à agir sur d’autres fondements, quand bien même ceux-ci entreraient dans leur objet social et seraient liés à un schéma corruptif.

Sherpa alerte depuis de nombreuses années sur les limites de ce dispositif et plus généralement, sur les restrictions qui existent à l’action judiciaire des associations dans de nombreux domaines. Il est impératif que le législateur se saisisse de cette question et simplifie l’action judiciaire des associations afin d’améliorer la lutte contre la criminalité économique.

Notes

[1] À noter que l’arrêté présente une coquille, la demande de renouvellement de l’association ayant été déposée le 5 août 2022 et non le 5 octobre 2022.

[2] Sherpa, Anticor et Transparency International France.