Paris/Nouakchott, 5 mars 2013. Se faisant l’écho des doléances récemment portées à la connaissance de Sherpa par la société civile mauritanienne, l’association souhaite attirer l’attention sur l’état réel de la gouvernance en Mauritanie car au-delà des mots, la situation reste extrêmement préoccupante.
Malgré une hausse spectaculaire des investissements étrangers et un taux de croissance de 5,1% en 2011, la Mauritanie figure encore aujourd’hui parmi les pays en développement dits « les moins avancés » et bénéficie à ce titre du dispositif d’allègement de la dette en faveur des Pays Pauvres Très Endettés (PPTE). Selon le dernier rapport du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), la Mauritanie occupe la 159ème place au classement de l’Indicateur de Développement Humain, soit un recul de quatre places par rapport à celui publié en 2006. Suivant ce même rapport, 15,1% des Mauritaniens sont exposés à la pauvreté et 40,7% à l’extrême pauvreté – 21,2% de la population vit avec moins de 1.25 USD par jour. L’espérance de vie à la naissance ne dépasse pas 59 ans et seuls 57,5% des adultes sont alphabétisés.
Aux yeux de bon nombre d’observateurs, ce décalage résulte de la captation des fruits de la croissance par une poignée d’individus proches des cercles du pouvoir qui contrôlent – via notamment le Bataillon de la sécurité présidentielle (BASEP), devenu le guichet unique des affaires, et la Banque Centrale de Mauritanie – l’essentiel de la vie économique du pays. Entre autres exemples récents, on peut évoquer la mainmise du pouvoir sur l’ensemble des marchés de sous-traitance liés à l’exploitation de la mine de Taziazt ou encore les soupçons entourant les conditions d’attribution du marché portant sur la construction de la nouvelle centrale électrique de Nouakchott. Ce dernier marché est en effet revenu au groupe finlandais Wärtsila, dont l’offre paraissait pourtant manifestement moins compétitive que celles de plusieurs de ses concurrents. Suivant les informations parues dans la presse locale, ce n’est autre que l’actuel fils du président Mohamed Ould Abdelaziz qui aurait, moyennant le versement d’une commission de 10 millions d’euros, facilité la victoire du groupe Wärtsilä.[i]
Des soupçons planent également sur le projet de construction du nouvel aéroport international de Nouakchott dont le marché a été accordé à un consortium privé NAJAH Major Works (NMW SA) dépourvu de la moindre expérience dans le domaine de la construction des infrastructures aéroportuaires. Conclu en violation flagrante des règles de passation des marchés publics, ce marché a consisté en un « troc » opaque pour le moins fantaisiste: moyennant la construction du futur aéroport, le consortium s’est ainsi vu offrir un vaste domaine d’une superficie totale de 451 hectares occupés pour un tiers par un quartier résidentiel et pour deux tiers par l’ancien aéroport. L’exécution du projet a déjà commencé alors que la valeur des terrains reste indéterminée et les données sur les coûts très approximatives. Aucune étude de rentabilité indépendante n’a jamais été réalisée avant la passation du marché. D’aucuns craignent que la finalité de cette opération soit surtout de permettre à un groupe privé lié à des personnalités influentes au sein du pouvoir d’accaparer des terrains de l’Etat à des fins spéculatives.[ii]
De nombreuses autres affaires mettant en cause des agents publics sont régulièrement rapportées par les médias ; mais rarement poursuivies en justice – elle-même instrumentalisée par le pouvoir en place ainsi que le confirme le rapport publié en décembre dernier par le bâtonnier de l’ordre national des avocats, Me Ahmed Salem Ould Bouhoubeyni, sur l’état de la justice en Mauritanie.[iii]
Dans ces conditions, il est permis de douter de la sincérité des engagements pris par le gouvernement pour lutter contre la corruption. Le cas du nouveau Code des marchés publics, entré en vigueur en février 2012, est à ce titre emblématique. Légitimement présenté comme un grand pas en avant en matière de transparence et de bonne gouvernance, il a cependant été vidé de toute substance à travers l’adoption de plusieurs décrets d’application créant des régimes dérogatoires pour une vingtaine d’organismes publics dont bon nombre ont été mis en cause dans des affaires d’attributions opaques de marchés. Ce climat corruptif ne peut que conduire à la médiocratie en écartant de façon sournoise les mieux-disant, les plus talentueux, les plus compétents.
Aussi, Sherpa appelle les bailleurs de fonds à mettre en place des mécanismes de contrôle adéquats destinés à garantir que les prêts et dons, en cours tout comme ceux dont pourraient bénéficier à l’avenir la Mauritanie, soient effectivement mis au service du développement et, in fine, de la population mauritanienne. L’association en appelle également aux entreprises qui investissent en Mauritanie ; elles doivent renoncer à être les complices d’un système de captation des ressources du pays.
[i]Source : http://www.mauriweb.info/news/?p=3340
[ii]Sources :
- Rapport du FMI sur la Mauritanie No. 12/246 – Août 2012 (page 43)http://www.imf.org/external/french/pubs/ft/scr/2012/cr12246f.pdf
- http://www.quotidien-nouakchott.com/aeroport-international-nouakchott-un-marche-qui-souleve-plein-questions
- http://kassataya.com/economie/futur-aeroport-international-de-nouakchott-cote-face-et-cote-pile
[iii]Source : http://www.quotidien-nouakchott.com/rapport-batonnier-sur-justice-mauritanienne-regne-l-arbitraire-et-sabotage-droit
Dernière modification: 7 août 2023