Devoir de vigilance : un sondage révèle le soutien massif de l’opinion publique européenne pour mettre fin à l’impunité des multinationales

Paris, le 13 octobre 2021 – Plus de 80 % des citoyen·nes européen·nes souhaitent des législations ambitieuses afin de tenir les entreprises juridiquement responsables de violations des droits humains et les atteintes à l’environnement qu’elles commettent, notamment à l’étranger. Selon un sondage YouGov publié aujourd’hui, les citoyen.nes européen.nes estiment également que les personnes affectées par de telles violations doivent pouvoir poursuivre les entreprises responsables devant les tribunaux européens. 

Ces résultats issus de neuf Etats de l’Union Européenne (UE) surviennent alors que la Commission européenne s’apprête à publier une proposition de directive sur le devoir de vigilance en matière de droits humains et d’environnement. Celle-ci s’appliquerait aux activités des filiales, fournisseurs et sous-traitants des entreprises opérant dans l’UE [1]. La publication de ce sondage intervient également dix jours avant une nouvelle session de négociation à l’ONU autour du projet de traité sur les multinationales et les droits humains.

Le sondage révèle un soutien très majoritaire des citoyen.nes au sein des neuf États de l’UE interrogés, parmi lesquels l’Allemagne, la France, la République tchèque et la Slovénie.

En France, les résultats de ce sondage sont particulièrement éloquents [2]

– 85 % des citoyen·nes sont favorables à ce que les entreprises soient légalement tenues de s’assurer qu’elles ne sont pas impliquées dans des violations des droits humains, telles que le travail forcé ou l’accaparement de terres.

– 85 % sont favorables à ce que les entreprises soient légalement tenues de s’assurer qu’elles ne contribuent pas à des dommages environnementaux – tels que la pollution de l’air ou la destruction de la biodiversité -, y compris en dehors de l’UE. 

– 84 % sont favorables à ce que que la responsabilité juridique des entreprises soit engagée lorsqu’elles causent ou contribuent à des violations de droits humains et à des crimes environnementaux de par le monde.

– après avoir pris connaissance d’exemples d’atteintes aux droits humains et environnementaux en dehors de l’Union européenne, 82 % des personnes interrogées estiment que les victimes de violations en dehors de l’UE devraient pouvoir poursuivre les entreprises impliquées en justice dans les pays européens où ces dernières sont basées. 

Nos organisations de défense des droits humains et de l’environnement ont fait des recommandations concrètes pour renforcer les législations en cours de négociation au niveau européen et onusien, afin de mettre fin à l’impunité des multinationales et d’améliorer l’accès à la justice des populations et des travailleur.ses affecté.es [3]. Alors que les violations des droits humains perdurent et que les menaces à celles et ceux qui osent s’opposer au pouvoir des multinationales se multiplient, il y a urgence à agir.

En début d’année, un demi-million de citoyen·nes et plus de 200 organisations ont appelé l’UE à adopter une législation ambitieuse [4]. Le sondage publié aujourd’hui est un nouveau message fort des citoyen·nes aux gouvernements et aux institutions européennes. Ils ne doivent pas céder aux lobbies économiques qui cherchent activement à affaiblir ce nouveau projet de directive et le projet de traité onusien et d’échapper à leurs responsabilités [5]

Signataires :

ActionAid France-Peuple Solidaires

Les Amis de la Terre France

Amnesty International France

Le CCFD Terre Solidaire

Le collectif Ethique sur l’étiquette

Notre Affaire à Tous

Sherpa


[1] Commission européenne : Feuille de route de la « gouvernance durable des entreprises ».

[2] Tous les chiffres, sauf indication contraire, proviennent de YouGov Plc.  La taille totale de l’échantillon était de 16906 adultes. Le sondage a été effectué entre le 14 et le 29 septembre 2021, en ligne dans les pays suivants : Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, France, Irlande, Pays-Bas, République tchèque et Slovénie. Les chiffres ont été pondérés et sont représentatifs de tous les adultes (âgés de 18 ans et plus) des pays concernés.

Une analyse complète et détaillée des questions et réponses est disponible ici.

Des infographies gratuites sont disponibles ici.

Ce sondage a été commandité par les organisations suivantes : AK EUROPA, les Amis de la Terre Europe, l’European Coalition for Corporate Justice (ECCJ), Global Witness et SumOfUs.
Il est relayé en France par ActionAid France-Peuple Solidaires, les Amis de la Terre France, Amnesty International France, le CCFD Terre Solidaire, le collectif Ethique sur l’étiquette, Notre Affaire à Tous et Sherpa.

[3] Voir le document de recommandations des organisations de la société civile française, ainsi que le rapport de la coalition européenne ECCJ Suing Goliath (2021).

[4] Voir le communiqué de presse “Over half a million people tell the EU to hold business accountable”, février 2021.

[5] Voir le rapport Tirées d’affaire ? Le lobbying des multinationales contre une législation européenne sur le devoir de vigilance (2021) ; ainsi que le rapport Impunité made in Europe – Les liaisons dangereuses de l’UE et des lobbies contre le traité ONU sur les multinationales (2018).

Tribune – Champs d’éoliennes d’EDF : des populations mexicaines dénoncent la violation de leurs droits fondamentaux

Tribune publiée le 16 octobre 2019 dans Le Nouvel Obs

La communauté d’Unión Hidalgo, dans l’Etat d’Oaxaca au Mexique, reproche à EDF de n’avoir pas respecté « ses droits humains et ses libertés fondamentales » dans la mise en œuvre d’un nouveau projet d’une centaine d’éoliennes à construire sur ses terres. Une demi-douzaine d’ONG, dont Sherpa, CCFD-Terre solidaire et la Ligue des droits de l’Homme, la soutienne dans une tribune que « l’Obs » publie.

En octobre 2014, « l’Obs » avait publié une enquête sur la révolte des populations de l’Etat d’Oaxaca, au Mexique, contre les champs d’éoliennes bâtis par des entreprises étrangères, dont EDF, sur fond d’expropriations musclées et de morts suspectes. Deux ans plus tard, l’électricien français remportait un appel d’offres pour la construction d’une centaine d’éoliennes supplémentaires. Soutenue par plusieurs ONG, la communauté mexicaine d’Unión Hidalgo vient d’écrire à la direction d’EDF, la mettant en demeure d’exercer son « devoir de vigilance » – devoir prévu par la loi de mars 2017 – sur la possible « violation des droits humains et les libertés fondamentales » provoquée par son projet. Une partie de la communauté, qui n’a été ni consultée ni informée au préalable, s’oppose à la réalisation de ce nouveau parc d’éoliennes sur leur terre qui en accueille déjà 27. Nous publions ici leur tribune :

En octobre 2016, l’entreprise EDF annonçait que sa filiale mexicaine venait de remporter un appel d’offres pour un nouveau projet éolien dans l’Etat de Oaxaca au Mexique, le projet Gunaa Sicarú. En vue, la construction d’un parc de 115 éoliennes au sein de la commune d’Unión Hidalgo, dans une région qui a vu, ces dernières années, se multiplier les méga projets énergétiques : « cet horizon saturé d’hélices ; cette forêt d’énormes pylônes blancs, de colosses mécaniques, à perte de vue ». Ces bouleversements n’ont pas seulement affecté le paysage de la région, ils ont également alimenté de violents conflits sociaux, les communautés indigènes concernées dénonçant la violation de leurs droits économiques, sociaux et culturels, et leur exclusion d’une transition écologique imposée au bénéfice de multinationales étrangères.

Peu après son annonce, EDF s’accordait avec les autorités mexicaines sur un régime spécial d’exemption fiscale. Pendant ce temps, la communauté (pour majorité zapotèque) d’Unión Hidalgo n’avait été ni consultée, ni même informée de ce nouveau projet.

Soutenus par l’association mexicaine de défense des droits humains ProDESC (Proyecto de Derechos Económicos, Sociales y Culturales), des représentants de la communauté d’Unión Hidalgo et défenseurs des droits humains se sont tournés vers la France, lieu du siège de la multinationale, et ont saisi en février 2018 le Point de contact national (PCN) français dans l’espoir d’obtenir une protection de leurs droits fondamentaux.

Ce mécanisme tripartite, constitué de représentants du gouvernement français, du Medef et des syndicats, opère sous l’égide de la Direction générale du Trésor. Il a entre autres pour mission de participer à la résolution des questions soulevées par la violation, par une multinationale française, des « Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales », en mettant en place une procédure de médiation entre les plaignants et les multinationales concernées.

En juillet dernier, les parties mexicaines ont claqué la porte du PCN, mettant fin à leur saisine. Elles dénoncent les graves défaillances de cette procédure, y compris son opacité, l’absence de décision claire sur les conflits d’intérêts liés à l’actionnariat d’EDF, contrôlé par l’Etat, ou encore l’interprétation extensive du principe de confidentialité exigée par le Secrétariat général du PCN, limitant la possibilité pour les parties mexicaines de communiquer sur la procédure de médiation en cours.

Ces critiques ne sont pas nouvelles. Depuis des années, nos organisations dénoncent les graves déficiences du PCN français et le simulacre de justice qui s’y tient, sous le sceau de la confidentialité, loin des yeux du public. Plus fondamentalement, ces déficiences illustrent l’incapacité du PCN français, dépourvu de sanction et affaibli par des conflits d’intérêts, à assurer l’accès à la justice pour les victimes d’atteintes aux droits humains et à l’environnement. Elles démontrent aussi la nécessité de renforcer le régime de responsabilité des entreprises aux niveaux européen et international, à l’heure où un traité contraignant en la matière est en cours de négociations à Genève.

Malheureusement, dans de nombreux cas de violations par des entreprises françaises, le PCN reste à l’heure actuelle le seul recours ouvert pour les victimes, aussi limité soit-il. C’est notamment le cas pour la plupart des entreprises qui ne sont pas couvertes par la loi sur le devoir de vigilance.

En mars 2018, nos organisations ont formellement interpellé Bruno Le Maire, ministre de l’Economie et Eric David, président du PCN, soulignant le besoin de réforme structurelle du PCN : nous demandions de réformer sa composition et sa gouvernance pour assurer son impartialité, de donner les moyens au PCN d’exercer ses fonctions et, surtout, d’améliorer la transparence et la prévisibilité de sa procédure pour les victimes.

Nous n’avons pas reçu de réponse à ce courrier, ni à notre relance de janvier 2019. La plainte contre EDF, première saisine du PCN portée par une ONG depuis 2015, était l’occasion de prendre en compte nos demandes de réforme et de restaurer la confiance de la société civile dans cette procédure. C’est encore une occasion manquée.

Face à l’échec du PCN, le 26 septembre, les plaignants mexicains, soutenus par le Centre européen pour les droits constitutionnels et humains (ECCHR), ont formellement mis EDF en demeure de respecter ses obligations issues de la loi française sur le devoir de vigilance. Espérons que les mécanismes judiciaires prévus par cette loi permettront, eux, d’assurer l’accès à la justice pour les victimes et de remédier aux dysfonctionnements du PCN.

Sandra Cossart, directrice de Sherpa

Sylvie Bukhari de Pontual, présidente du CCFD-Terre Solidaire

Malik Salemkour, président de la Ligue des droits de l’Homme (LDH)

Guillaume Duval, président du Collectif Ethique sur l’étiquette

Miriam Saage-Maass, directrice juridique du Centre européen pour les droits constitutionnels et humains (ECCHR)

Alejandra Ancheita, fondatrice et directrice de Proyecto de Derechos Económicos, Sociales y Culturales (ProDESC)

Appel aux parlementaires sur le Yémen et les ventes d’armes françaises

Paris, le 9 juillet 2019

Objet : Appel aux parlementaires de 19 ONG sur le Yémen et les ventes d’armes françaises

Mesdames et Messieurs les Député·e·s,

Ce mercredi 10 juillet, la ministre des Armées Florence Parly sera auditionnée par la Commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale pour y présenter son rapport au Parlement sur les exportations d’armement.

A cette occasion, nous, représentant·e·s d’ONG humanitaires et de défense des droits humains, vous appelons solennellement à exercer votre devoir de contrôle de l’action gouvernementale en vous assurant que la France ne viole pas ses engagements internationaux en continuant à exporter des armes à l’Arabie saoudite et aux Emirats arabes unis.

Ces deux pays sont à la tête d’une coalition militaire responsable de violations graves et systématiques du droit international humanitaire contre les civils yéménites. Le rapport au Parlement, publié le 4 juin, indique que l’Arabie saoudite était le premier client de l’industrie d’armement française en 2018, en augmentation de 50% par rapport à l’année précédente. Les Émirats arabes unis étaient, quant à eux, le 5ème client de la France en 2018 et se hissent au 4ème rang sur les dix dernières années.

Les Nations Unies et nos ONG ont largement documenté les graves violations commises par l’ensemble des parties au conflit depuis 2014, dont certaines constituent des crimes de guerre. Les forces houthies sont notamment responsables d’attaques indiscriminées, d’utilisation de mines anti-personnel et d’autres armes explosives en zones peuplées, de recrutement d’enfants-soldats, de disparitions forcées et torture, d’entraves à l’aide humanitaire. La coalition dirigée par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis a notamment mené des frappes aériennes répétées visant des hôpitaux, des écoles, des marchés, des funérailles et même un bus scolaire rempli d’enfants. Le blocus mis en place par la coalition a exacerbé une crise humanitaire de grande ampleur aux conséquences dramatiques sur la population yéménite.

Selon la Haut-Commissaire aux droits de l’Homme de l’ONU, près des deux tiers des victimes civiles directes du conflit sont imputables aux frappes aériennes menées par la coalition dirigée par l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis.

Face au risque que la France se rende complice de crimes de guerre au Yémen, nous avons à maintes reprises appelé le gouvernement à cesser ses exportations d’armes à l’Arabie Saoudite et aux Émirats arabes unis lorsqu’il existe un risque que ces armes soient utilisées pour commettre des violations au Yémen. Jusqu’à présent, nos appels n’ont pas été entendus : le gouvernement français a non seulement poursuivi, mais aussi augmenté ses livraisons d’armes à des forces militaires responsables de multiples abus.

Ces questions revêtent un caractère d’urgence à la lumière des événements de ces dernières semaines en France, alors que le sort des populations civiles au Yémen ne fait qu’empirer.

Une note confidentielle de la Direction du renseignement militaire français, publiée le 15 avril par le site d’investigation Disclose, atteste du risque élevé que du matériel militaire français soit utilisé contre des civils yéménites. Une carte illustrant le rayon d’action de canons Caesar déployés par l’Arabie saoudite le long de sa frontière avec le Yémen établit notamment que « 436 370 personnes » sont « potentiellement concernées par de possibles frappes d’artillerie ».

Suite à ces révélations, deux cargos saoudiens venus charger des armes françaises au Havre et à Fos-sur-Mer ont été contraints de faire demi-tour sans leur livraison face à la mobilisation sans précédent de la société civile et d’élus. Dans le même temps, deux enquêtes journalistiques illustraient l’opacité qui entoure les ventes d’armes françaises (« Mon pays vend des armes », livre d’Anne Poiret et « Crimes de guerre au Yémen : les complicités européennes », documentaire d’Alexandra Jousset).

Dans ce contexte, le rapport au Parlement sur les exportations d’armement, présenté par la ministre des Armées comme un exercice visant à répondre à « l’exigence démocratique » et au « besoin de transparence » des Français, devrait être l’occasion d’apporter des réponses claires aux inquiétudes légitimes d’un nombre croissant de parlementaires, de dockers, de salariés de l’industrie d’armement et, plus largement, de citoyens.

Au lieu de cela, le gouvernement français laisse en fait de nombreuses questions cruciales sans réponses. Que vend exactement la France et à qui ? Quelles sont les utilisations finales de ces armements ? Quelles garanties la France a-t-elle que ces armes ne servent pas à commettre des violations au Yémen ? Quelles sont les licences d’exportations qui ont été refusées et pour quels risques identifiés ?

Sans ces informations, il nous apparaît que le Parlement n’est pas en mesure d’exercer son devoir de contrôle ni de s’assurer de la conformité des ventes d’armes françaises avec les obligations internationales de la France au titre du Traité sur le commerce des armes et de la Position commune de l’Union européenne sur les exportations d’armement.

Dans un nombre croissant de pays, la guerre au Yémen pousse les gouvernements à réviser leur politique d’exportation d’armement. L’Allemagne, le Danemark, la Norvège, la Finlande ont été les premiers à stopper ou limiter leurs ventes d’armes. En Belgique et au Royaume-Uni, la justice, saisie par les ONG, a contraint les gouvernements à revoir leurs exportations vers l’Arabie saoudite. Aux Etats-Unis et en Italie, les parlementaires ont légiféré pour bloquer le transfert de certains matériels militaires.

Pourquoi la France ne suit-elle pas l’exemple de ses partenaires ?

Face à l’inaction du gouvernement, nous vous exhortons, Mesdames et Messieurs les Député-e-s, à exiger de l’exécutif des réponses claires sur l’usage des armes vendues par la France et le respect de ses obligations internationales. Ce qui est en jeu n’est rien d’autre que la crédibilité de la France sur la scène internationale.

Nous vous demandons notamment de :

  • Demander l’arrêt immédiat des transferts d’armes à l’Arabie saoudite, ainsi qu’aux Émirats arabes unis quand il existe un risque qu’elles soient utilisées dans des violations au Yémen.
  • Soutenir la création d’une commission d’enquête parlementaire sur le respect par la France de ses engagements internationaux dans le cadre du conflit au Yémen.
  • Améliorer de façon décisive la transparence relative aux ventes d’armes, notamment en établissant un véritable contrôle parlementaire des exportations, comme le souhaitent 72% des Français selon un récent sondage YouGov.

Veuillez agréer, Mesdames et Messieurs les Député·e·s, l’expression de nos salutations distinguées.

Liste des ONG signataires :

  1. ACAT
  2. Action Contre la Faim (ACF)
  3. Alliance internationale pour la défense des droits et des libertés (AIDL)
  4. Amnesty International France
  5. Avaaz
  6. CARE France
  7. Fédération internationales des ligues des droits de l’Homme (FIDH)
  8. Handicap International
  9. Human Rights Watch
  10. Ligue des droits de l’Homme (LDH)
  11. Médecins du Monde
  12. Observatoire des armements
  13. Oxfam France
  14. Première Urgence Internationale
  15. Salam for Yemen
  16. Sherpa
  17. STAND France
  18. SumOfUs
  19. Yemen Solidarity Network

Traité ONU sur les multinationales et les droits humains : des avancées majeures et le silence assourdissant de l’Union européenne

Genève, le 19 octobre 2018 – Aujourd’hui vient de se conclure à Genève la 4ème session de négociation du groupe de travail intergouvernemental de l’ONU chargé d’élaborer un traité contraignant les multinationales à respecter les droits humains et l’environnement. Près de 300 représentants de la société civile, dont la coalition française sur le traité ONU (1), se sont mobilisés pour renforcer le premier avant-projet de traité négocié par les États, et attaqué par les lobbies. La France a été l’unique pays membre de l’Union européenne à intervenir dans les discussions de fond.

Cette session de négociation représente une avancée majeure : depuis près de 50 ans toutes les tentatives antérieures d’adoption par les Nations Unies de normes contraignantes pour les multinationales avaient échoué, du fait de l’opposition des pays du Nord et des grandes entreprises.

Tout au long de la semaine, plus d’une centaine d’associations, syndicats et mouvements sociaux, et des dizaines d’États du monde entier se sont succédé pour renégocier, article par article, cette première version de traité. « Cependant, les services diplomatiques de l’Union européenne et les États membres de l’Union, poursuivant la stratégie de diversion adoptée depuis 2015, n’ont pas contribué à ces discussions de fond, à l’exception de la France qui, à deux reprises, a rompu le silence de l’Union pour évoquer la loi française sur le devoir de vigilance et suggérer de s’en inspirer afin de résoudre certaines questions encore en suspens », analyse Swann Bommier, du CCFD-Terre Solidaire (2).

Juliette Renaud, des Amis de la Terre France complète : « Comme chaque année, les lobbies des multinationales ont fait entendre leur voix contre ce Traité. Ils s’opposent à toutes les mesures pouvant faciliter l’accès à la justice et les tenir légalement responsables, et défendent, tout comme l’Union européenne, des normes volontaires inefficaces. L’Organisation internationale des employeurs a même menacé les États soutenant le traité de représailles commerciales ! La société civile a réagi en se levant en plénière pour rejeter fermement ces tactiques agressives des lobbies » (3).

La coalition française et ses alliés internationaux ont appelé à renforcer ce premier projet de texte afin que le traité atteigne ses objectifs de faciliter l’accès à la justice pour les communautés et travailleur.se.s affecté.e.s et mettre fin à l’impunité des multinationales (4).

Braulio Moro, de France Amérique Latine, souligne : « Il est indispensable que le futur traité reconnaisse la primauté des droits humains sur les traités de commerce et d’investissement. Par ailleurs, il doit introduire des obligations directes pour les entreprises et un mécanisme de recours effectif au niveau international pour les communautés affectées ».

Stéphane Enjalran de l’Union syndicale Solidaires ajoute : « un tel traité ne doit pas se contenter de mesures uniquement préventives, certes nécessaires. Il faut les compléter par des obligations contraignantes et la possibilité de traduire réellement en justice les multinationales responsables de violations, y compris devant les tribunaux de leur pays d’origine ».

Après une semaine portant sur des débats juridiques de fond, cette après-midi a donné lieu à une session informelle et à une séance plénière afin d’adopter les conclusions définissant la suite du processus de négociation. L’Union européenne et l’ensemble de ses Etats membres ont marqué leur frustration avec le processus en boycottant la session informelle et en laissant d’autres Etats défavorables au Traité monter au créneau.

Revenue pour la plénière, l’UE s’est dissociée des recommandations du groupe de travail sans pour autant s’opposer à l’adoption de la version révisée des conclusions. La présidence du groupe de travail a alors pu clore la session grâce à la pression de la société civile et à la capacité des Etats favorables au traité à faire adopter un programme de travail consensuel, comprenant la publication d’un texte révisé en juillet 2019 et la tenue d’une 5ème session de négociation en Octobre 2019.

Notes 

(1) La coalition française sur le traité ONU est composée de ActionAid France-Peuples Solidaires, AITEC, Amis de la Terre France, ATTAC France, CCFD-Terre Solidaire, CGT, Collectif Éthique sur l’étiquette, France Amérique Latine, Ligue des Droits de l’Homme, Sherpa, Union syndicale Solidaires

(2) Voir le rapport « Une stratégie de diversion. L’union européenne dans les négociations pour un traité onusien sur les entreprises transnationales et les droits humains », publié par le CCFD-Terre Solidaire : https://ccfd-terresolidaire.org/infos/rse/traite-onu-sur-les-6235

(3) Voir le rapport « Impunité Made in Europe – Les liaisons dangereuses de l’UE et des lobbies contre le traité ONU sur les multinationales », publié par les Amis de la Terre France et d’autres partenaires : http://www.amisdelaterre.org/Impunite-made-in-Europe.html

Et la contribution écrite de l’Organisation internationale des employeurs (voir notamment l’annexe) : https://www.ioe-emp.org/index.php?eID=dumpFile&t=f&f=134721&token=48cd232e01eb951b60284a7f7c390164526e151d

(4) La coalition française a réalisé deux interventions en plénière en ce sens, disponibles sur demande.

Accord de pêche Mauritanie – Chine: Le cri d’alarme de la société civile auprès de l’UE et du gouvernement Mauritanien

Paris, le 17 avril 2014 – L’exploitation des ressources halieutiques représente un enjeu stratégique pour l’économie mauritanienne : principal pourvoyeur de devises après les mines, le secteur de la pêche représente 10% du PIB du pays, entre 35% et 50% des exportations et près de 36% des emplois[1].

Soucieux de préserver le potentiel de ce secteur, le gouvernement mauritanien a adopté une « Stratégie de Gestion du Secteur des Pêches et de l’Aquaculture 2008-2012 »  destinée à « assurer, dans le cadre d’une gestion durable des ressources halieutiques, l’optimisation des bénéfices socio-économiques tirés du secteur, en termes de recettes budgétaires, de revenus des opérateurs privés, d’emplois, de sécurité alimentaire et de réduction de la pauvreté »[2].

Une convention de pêche douteuse avec une société chinoise

Or, les contrats conclus dans le domaine de la pêche par le gouvernement mauritanien s’éloignent «très sensiblement » de cette stratégie. En effet, les termes de la convention entre la Mauritanie et la société chinoise Poly-Hondone Pelagic FisherY Co, dépendant du groupe POLY TECHNOLOGIES, en constituent un exemple particulièrement criant.

Signé le 7 juin 2010, ce contrat prévoit que, moyennant un simple investissement de 100 millions USD en nature via la construction et l’exploitation d’une usine de transformation de poisson à Nouadhibou, la société chinoise bénéficie d’un droit de pêche sur une durée de 25 ans dans des conditions fiscales et commerciales extrêmement avantageuses (Annexe 1).

Alors même que les ressources halieutiques mauritaniennes sont gravement menacées, Sherpa et Sea Sheperd[3] s’étonnent qu’aucune restriction aux modalités de pêche n’est prévue par cette convention. Ce droit de pêche illimité se traduit par un pillage des ressources halieutiques par la société chinoise, aggravé par un contexte général de captures illégales et non déclarées. Cette surexploitation des ressources halieutiques a pour conséquence des atteintes irréversibles à l’environnement et à l’écosystème, caractérisant de facto un véritable « préjudice écologique ».[4]

Port de l'amité Mauritanie - © dar-hydraulique.com

Port de l’amité Mauritanie – © dar-hydraulique.com

Aucune obligation en termes de développement économique et social n’est non plus envisagée si ce n’est la création de 2 463 emplois destinés prioritairement au personnel mauritanien qualifié. Un engagement bien négligeable – et non tenu à aujourd’hui – au regard des importantes pertes d’emploi chez les pêcheurs traditionnels : environ 13 000 emplois sont déjà concernés à ce jour.

L’Europe flouée maintient son appui financier

Les termes de la convention avec la société chinoise sont d’autant plus surprenants qu’ils s’écartent largement de ceux du nouveau protocole d’accord de partenariat sur la pêche (APP), d’une durée de deux ans, approuvé par le Conseil de l’Union européenne le 15 novembre 2013[5]. La seule comparaison coût-durée des accords est éloquente : 4 millions USD d’investissement de la société chinoise par an sur 25 ans (et ce dans sa propre usine), contre 70 millions € par an sur 2 ans pour l’APP avec l’UE. A qui cette différence de traitement profite-t-elle ?

De nombreux parlementaires et organisations de la société civile locale s’étaient vainement opposés à l’approbation par le Parlement mauritanien de cette convention qui a finalement été adoptée le 6 juin 2011 dans un climat très controversé[6]. Le contrat est d’autant plus disproportionné qu’aucun investissement n’a été réalisé par la société chinoise et que ses obligations en matière d’emploi n’ont pas été respectées.

Cette disproportion se traduit en termes juridiques par une illicéité de la convention qui devrait pour cette raison être dénoncée sur le fondement de l’absence d’objet, de cause, ou encore la violation de l’ordre public mauritanien. La dénonciation de cette convention et sa renégociation à l’initiative de la Mauritanie est donc impérative et indispensable afin de préserver les intérêts des mauritaniens et d’essayer de créer un précédent pour les prochains contrats (Annexe 2).

Par ailleurs, lors des réunions des 19 et 20 février 2013 ayant pour objet la discussion du protocole de pêche, l’UE avait aussi réitéré « la nécessité de recevoir (…) les informations demandées sur l’utilisation du reliquat des fonds apportés de 25 millions d’euros » et « de disposer de ces informations avant d’envisager le déclenchement du nouvel appui financier »[7]. Ce rappel fait par l’UE à la Mauritanie quant à la traçabilité de l’appui financier européen n’a pas été suivi d’effet, bien au contraire, dans le cadre du nouvel accord de pêche, de nouvelles aides ont été débloquées[8].

L’UE, promoteur des « mesures destinées à garantir la prospérité et le caractère durable du secteur » de la pêche, aurait dû et devrait par conséquent à la fois dénoncer l’exploitation illicite des ressources halieutiques par des sociétés étrangères en accord avec la Mauritanie[9], et veiller à assurer, conformément à ses engagements, notamment dans le cadre des prochaines aides accordées[10], une meilleure transparence de ses investissements dans ce pays pour garantir l’intérêt des mauritaniens.

 Nous appelons donc le gouvernement Mauritanien à dénoncer la convention de pêche conclue avec la société Poly-Hondone Pelagic FisherY Co et nous demandons à l’Union européenne de prendre très rapidement toutes les dispositions nécessaires pour s’assurer que l’argent public Européen ne soit utilisé à des fins contraires aux principes qui gouvernent son action en faveur des pays en développement.

Pour plus d’informations, télécharger les annexes.


[1] La convention d’établissement signée le 07 juin 2010 présente la société chinoise POLY-HONDONE PELAGIC FISHERY CO. LTD. comme « l’investisseur ». Pour autant, dès le préambule de cette même convention, le nom de cette société disparait au profit de celui de la société POLY TECHNOLOGIES INC, avec laquelle le gouvernement de Mauritanie avait conclu le 14 mars 2010 un accord d’investissement en vue de la signature de ladite convention.

[2] Source : PRESENTATION DU PROJET DE STRATEGIE DE GESTION DU SECTEUR DES PECHES ET DE L’AQUACULTURE  2008 -2012, Annexe 1 ; Rapport de l’étude du diagnostic de la situation social du travail et de l’emploi dans le secteur de la pêche en Mauritanie (septembre 2008) – http://www.ilo.org/public/spanish/region/eurpro/madrid/download/diagnosmaurit.pdf

[3] Voir sur ce point l’opération « SUNU GAAL » : http://www.seashepherd.fr/news-and-media/news20140109-fr-01.html

[8] Source : Association Sherpa –  https://www.asso-sherpa.org/archives/2698 (A titre d’exemple, la contrepartie financière versée par l’UE passe par un compte bancaire de la banque centrale de Mauritanie (BCM) souvent décrite comme la « caisse noire » de la Mauritanie.)

[9] Source : Commission européenne, domaine de la pêche – http://ec.europa.eu/fisheries/cfp/index_fr.htm

[10] L’Union européenne a confirmé l’octroi d’un nouveau soutien financier en faveur du commerce en Afrique de l’Ouest le 17 mars 2014, d’un montant d’au moins 6,5 milliards d’euros au titre du programme de l’accord de partenariat économique pour le développement (PAPED)

La décision de la Cour suprême dans l’affaire Kiobel c. Royal Dutch Shell Petroleum marque un recul dans la protection des droits humains face aux entreprises transnationales

Le 17 avril 2013, la Cour Suprême des États-Unis a rendu sa décision finale dans l’affaire Kiobel c. Royal Dutch Shell Petroleum par laquelle elle confirme l’arrêt de la Cour d’appel jugeant irrecevable l’action civile de plaignants nigérians reposant sur l’Alien Tort Claim Act (ATCA).

Responsabilité des entreprises et droits humains : quand la territorialité sert de refuge à l’impunité

L’entreprise néerlandaise Shell ainsi qu’une filiale nigériane étaient accusées d’avoir aidé et encouragé des crimes contre l’humanité, tortures et exécutions arbitraires commis par l’armée nigériane contre des villageois de la région d’Ogoni afin d’assurer la protection de son forage pétrolier au Nigeria.

Le rejet de leur plainte déposée en 2002 devant le Tribunal du District sud de New York avait été confirmé par la Cour d’appel le 17 septembre 2010 indiquant que les entreprises ne pourraient pas être tenues responsables en vertu de l’ATCA. Institué par une loi de 1789, l’ATCA permettait la compétence des juridictions américaines pour des recours en responsabilité civile engagés par des citoyens non-américains victimes de dommages commis à l’étranger en violation du droit international et à l’encontre de personnes situées sur le sol américain. Cette loi de « compétence quasi-universelle » demeure la plus aboutie pour les victimes d’entreprises transnationales dont les abus restent trop souvent impunis dans les pays où ils sont commis.

Pourtant, la décision de la Cour Suprême dans l’affaire Kiobel contre Shell vient en réduire fortement la portée. En effet, la cour suprême s’est fondée sur le principe doctrinal de présomption contre l’extraterritorialité pour préciser le champ d’application de l’ATCA en considérant que cette loi n’a pas en principe à s’appliquer aux actes commis en dehors du territoire des États-Unis. Le fondement à ce principe étant politique : juger de manière croissante de faits commis à l’étranger sur le fondement de l’ATCA pourrait aboutir à des tensions diplomatiques entre les États-Unis et d’autres États.

Prévalence des enjeux diplomatiques et politiques sur le respect du droit

Si cet arrêt réduit considérablement le champ de l’Alien Tort Statute, la Cour prévoit que la présomption contre l’extraterritorialité pourrait être écartée lorsque des « liens étroits » sont constatés entre le litige et les États-Unis. Ainsi une société pourrait voir sa responsabilité engagée sur le fondement de l’ATCA pour ses activités à l’étranger dès lors que la présence de son siège social sur le sol américain suffit à caractériser un lien étroit avec les Etats Unis. De ce fait, la position de la Cour Suprême dans l’affaire Kiobel suffit à faire trembler cet arsenal juridique qui jusqu’à présent constituait un outil important de lutte contre l’impunité des entreprises à travers le monde.

Sherpa regrette que la Cour Suprême ait choisi de réduire l’accès au droit à un recours effectif dans un contexte pourtant propice à un renforcement de la RSE : la multiplication croissante des recours mettant en cause des entreprises dans le non-respect des droits de l’Homme ainsi que l’adoption récentes de normes internationales en la matière (principes directeurs de l’ONU et de l’OCDE) démontrent que la violation des droits n’est pas l’apanage des personnes physiques et que des moyens existent pour répondre aux problèmes soulevés par la criminalité mondialisée.

Pour plus d’informations:

Pour un rappel historique de l’affaire

Cf. http://www.ccji.ca/f/programmes/dossiers/index.php?DOC_INST=13

Pour une analyse des arguments des parties dans l’affaire Kiobel, voir le site du Center for Justice and Accountability

Cf. http://cja.org/section.php?id=510

La démocratie malade de la délinquance financière | Rue 89 Strasbourg

Rue-89-800px-large-620x400Tribune écrite et en vidéo d’Eric Alt, conseiller référendaire à la Cour de cassation depuis 2007, membre du syndicat de la magistrature, de l’association Anticor et de Sherpa.

Extraits :

“Parmi les principaux thèmes du Forum mondial de la démocratie, les organisateurs ont judicieusement choisi : « Peuple contre argent : rupture de confiance ? » Une table ronde sur « l’argent et la démocratie » est programmée mercredi 10 octobre. Une table ronde, c’est bien le minimum quand la délinquance financière a contribué au déclenchement de la crise et à sa propagation.

Car l’incendie part, aux États-Unis, d’une fraude gigantesque au crédit hypothécaire. Des prêts sont accordés dans des conditions irrégulières. Des intermédiaires, rémunérés en fonction des prêts accordés, trompent leurs clients sur le coût du remboursement des créances. Le marché est alimenté par des titres regroupant ces créances, dont le caractère toxique est dissimulé. Des agences de notation peu exigeantes certifient la qualité de ces titres…” […]

A lire et visionner en intégralité sur le site de Rue 89 Strasbourg

Rue 89 Strabourg Ι La démocratie malade de la délinquance financière

Tribune écrite et en vidéo d’Eric Alt, conseiller référendaire à la Cour de cassation depuis 2007, membre du syndicat de la magistrature, de l’association Anticor et de Sherpa.

Extraits :

“Parmi les principaux thèmes du Forum mondial de la démocratie, les organisateurs ont judicieusement choisi : « Peuple contre argent : rupture de confiance ? » Une table ronde sur « l’argent et la démocratie » est programmée mercredi 10 octobre. Une table ronde, c’est bien le minimum quand la délinquance financière a contribué au déclenchement de la crise et à sa propagation.

Car l’incendie part, aux États-Unis, d’une fraude gigantesque au crédit hypothécaire. Des prêts sont accordés dans des conditions irrégulières. Des intermédiaires, rémunérés en fonction des prêts accordés, trompent leurs clients sur le coût du remboursement des créances. Le marché est alimenté par des titres regroupant ces créances, dont le caractère toxique est dissimulé. Des agences de notation peu exigeantes certifient la qualité de ces titres…” […]

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