Rédigé par 14 h 39 min Communiqués de presse, Contentieux stratégique, Crimes internationaux, Renforcer la responsabilité des entreprises multinationales contentieux

La justice française maintient la mise en examen de Lafarge mais annule le chef de complicité de crimes contre l’humanité

Paris, le 7 novembre 2019 – Dans un arrêt rendu aujourd’hui, la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris a annulé la mise en examen de la société Lafarge SA pour complicité des crimes contre l’humanité commis en Syrie et en Irak notamment par l’organisation « Etat Islamique » (EI). La Chambre de l’instruction confirme cependant la mise en examen de la multinationale française, en tant que personne morale, pour mise en danger délibérée de la vie d’autrui, financement de terrorisme, et violation d’un embargoHuit anciens cadres demeurent mis en examen.

Par ailleurs, le 24 octobre dernier, la Chambre avait rejeté la recevabilité de Sherpa et ECCHR en tant que parties civiles dans ce dossier, s’inscrivant dans un mouvement plus large de rétrécissement de l’action civile associative. Elle a tiré comme conséquence de cette irrecevabilité le rejet de l’ensemble des mémoires que les associations avaient déposés.

Les associations Sherpa et le European Center for Constitutional and Human Rights (ECCHR), à l’origine de la plainte déposée en Novembre 2016 aux côtés de 11 anciens salariés syriens, vont se pourvoir en cassation, l’occasion pour la chambre criminelle de la Cour de cassation de se prononcer dans cette affaire aux répercussions cruciales.

« Lafarge n’a pas seulement mis en danger ma vie et celles de mes collègues », déclare un ancien employé syrien, plaignant dans l’affaire. « En négociant avec des groupes armés dans la région, Lafarge a pris le risque de contribuer à la commission de crimes contre l’humanité. Ces faits doivent être investigués. Nous avons confiance en la justice française afin qu’elle reconsidère ces allégations ».

« Cette mise en examen reste une première en France en matière de responsabilité pénale d’une entreprise pour ses activités à l’étranger, et un pas important dans la lutte contre l’impunité des multinationales. Cependant en refusant de confirmer le chef de complicité de crimes contre l’humanité, la Chambre de l’instruction fragilise l’accès à la justice des victimes de conflits armés », affirme Marie-Laure Guislain, responsable du contentieux chez Sherpa.

Sherpa et ECCHR avaient expressément visé l’infraction de complicité de crimes contre l’humanité dans leur plainte initiale avant de transmettre aux magistrats instructeurs, en mai 2018, une note détaillée en ce sens. En juin 2018, Lafarge avait été mise en examen pour complicité de crimes contre l’humanité, une décision sans précédent dans le monde.

Les mécanismes d’investigation des Nations Unies ainsi qu’un large faisceau d’indices indiquent que les atrocités commises par l’EI en Syrie et en Iraq sont constitutives de crimes contre l’humanité.

« Nous estimons que les preuves récoltées par l’instruction judiciaire permettent de réunir les indices graves ou concordants sur la complicité de Lafarge pour ces crimes, et ce principalement en finançant l’EI et d’autres groupes armés à hauteur de plusieurs millions d’euros. Les paiements aux groupes armés auraient été réalisés grâce aux pouvoirs financiers de l’entreprise et dans l’intérêt présumé de Lafarge – celui de se maintenir en Syrie. C’est donc au groupe de répondre à ces allégations », affirme Claire Tixeire, conseillère juridique du ECCHR. « La responsabilité des multinationales ne s’arrête pas aux frontières du pays où leur siège social se trouve. »

Sur le rejet de leur recevabilité, selon Marie-Laure Guislain à Sherpa : « l’action civile associative est indispensable à la protection de l’État de droit et la consolidation de notre démocratie à un moment où les lobbys financiers, sinon les enjeux politiques peuvent freiner l’action du Ministère public. »

Cette affaire demeure un tournant majeur dans la lutte contre l’impunité avec le maintien de la mise en examen de Lafarge sur les chefs de mise en danger délibérée de la vie d’autrui, financement de terrorisme, et violation d’un embargo, ainsi que des anciens dirigeants.


Communiqué de : 

Sherpa et European Center for Constitutional and Human Rights (ECCHR)

Pour plus d’informations : presse@asso-sherpa.org

Dernière modification: 7 mars 2023
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