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Note de position Sherpa sur le projet de loi “programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales”

Restitution des avoirs issus du produit de la corruption aux pays victimes

Depuis 15 ans, l’association Sherpa souligne l’importance de l’adoption d’une loi sur la restitution des avoirs pour notre pays qui hébergent une partie de ces avoirs illégaux. Aujourd’hui, il est indispensable que la France se dote d’un dispositif clair de restitution du produit de la corruption aux pays qui en sont victimes, d’autant que ces derniers sont presque exclusivement des pays en développement.

Sherpa, association engagée dans la lutte contre la criminalité financière et le détournement du produit du crime, est en première ligne du combat contre les biens mal acquis (BMA) c’est-à-dire l’ensemble des biens issus du produit d’activités délictuelles ou criminelles soustrait illégalement du patrimoine du pays d’origine qui permettent à des dirigeants de s’enrichir illégalement. En effet, depuis des années, Sherpa a été à l’initiative de nombreuses procédures parmi lesquelles les trois premières plaintes déposées dès 2007. Ces affaires, dites des « biens mal acquis », portent sur des soupçons de recels de détournements de fonds publics par le clan du président congolais Denis Sassou-Nguesso au Gabon, d’Ali Bongo au Congo, et de la famille Obiang en Guinée Equatoriale.

L’importance d’une loi sur la restitution des avoirs en France : Au-delà de la saisie des biens, la question de leurs restitutions à l’Etat d’origine est d’une importance cruciale et constitue un pilier majeur de la lutte contre les fonds d’origine illicite. La gestion de la restitution des actifs confisqués ou saisis est un sujet très débattu au niveau international. Certains pays ayant restitué des avoirs ont par le passé demandé ou conditionné la restitution du produit de corruption et autres actes criminels à des dépenses consacrées à des projets spécifiques ou à des domaines déterminés mutuellement par les deux parties des pays. L’argument est d’éviter que les actifs restitués soient de nouveau dirigés hors du pays par la corruption ou d’autres actes criminels. De nombreux pays victimes ont, à leur tour, fait valoir que ce conditionnement est une potentielle violation de leur droit souverain de décider de la manière de dépenser ou d’investir l’argent retourné.

Le projet de loi actuellement débattu en France doit en premier lieu tenir compte de la nécessité d’établir un solide partenariat avec la société civile des Etats impliqués dans la restitution lorsque les conditions de gouvernance rendent impossible pour les Etats d’origine d’assurer que ces fonds ne retombent pas dans le circuit de la corruption, et ce, afin de garantir la restitution effective de ces avoirs. La solution doit répondre tant aux attentes nationales et internationales qu’aux expectatives des gouvernements concernés. Les fonds saisis devraient permettre de financer entre autres des projets dans les domaines de la santé, de l’éducation ainsi que le renforcement de leur système de gouvernance pour identifier et réduire la corruption. Le choix des projets doit également tenir compte des propositions émanant de la société civile de l’État d’origine. L’expérience montre que chaque cas nécessite une redéfinition du mécanisme de restitution et les associations de la société civile devraient être sollicitées pour coopérer avec les acteurs étatiques[1] afin de garantir la bonne administration de la restitution.

Il est donc important qu’aujourd’hui les élus accueillent favorablement cette proposition de loi afin d’initier une réflexion sur le sujet des modalités concrètes de restitution.

Les action de Sherpa en matière de BMA :

Guinée Equatoriale, Gabon, Congo : Sherpa   est   à   l’origine   des   premières   plaintes   déposées  dès  2007  dans  les  affaires  dites  des  BMA  qui  portent sur des soupçons de recels de détournements de fonds  publics  par  des  membres  des  familles  dirigeantes  du  Gabon,  du  Congo  et  de  la  Guinée  Équatoriale  qui  ont  été  classées  sans  suite  avant  d’être  relancées  par  Transparency International France. Au terme d’une longue saga judiciaire, l’une de ces affaires a abouti à une décision sans précédent ; la condamnation de Téodorin OBIANG, fils du Président de Guinée Equatoriale, par un jugement en date du 27 octobre 2017, duquel il fait appel. Par ailleurs, des développements sont  attendus  dans  les  informations  ouvertes  contre  le  clan  du  président  congolais  Denis  Sassou-Nguesso  et  celui  d’Ali  Bongo,  l’héritier d’Omar Bongo.

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Syrie : Une information judiciaire a été ouverte en 2015 à l’initiative de Sherpa à l’encontre de Rifaat al-Assad, oncle de Bachar al-Assad, mis en examen en juin 2016. Consécutivement à cette plainte ses avoirs en France ont été saisis pour une valeur de 90 millions d’Euros. Une condamnation frappée d’appel a finalement été rendue en juin 2020 prononçant la confiscation des biens saisis et condamnant Rifaat Al Assad à quatre ans de prison ferme pour blanchiment d’argent et détournement de fonds.

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Ouzbékistan : En juin 2014, Sherpa se constitue partie civile dans l’action judiciaire contre Gulnara Karimova, fille ainée du président de la République d’Ouzbékistan. Cette dernière avait créé en 2009 et 2010 des sociétés civiles immobilières (SCI) à Paris par le biais desquelles elle a acquis des biens en France pour un total d’environ 50 millions d’euros. Ces propriétés auraient été achetées grâce au produit de la corruption. En septembre 2014, ces biens ont été saisis. Le 26 juin 2019, après sept ans de procédure, le volet ouzbek de l’affaire des « Biens Mal Acquis » s’est clos par une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) décidée entre les parties. Cette CRPC prévoit la restitution de ces biens immobiliers acquis illicitement – d’une valeur de plusieurs dizaines de millions d’euros – à l’Ouzbékistan.

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Canada : Le 1er mars 2018, Sherpa a demandé à la Gendarmerie Royale du Canada (GRC) l’ouverture d’une enquête sur les conditions d’acquisition d’un patrimoine immobilier considérable sur le territoire canadien par des dignitaires africains de la République du Congo, d’Algérie, du Burkina Faso, du Gabon, du Tchad et du Sénégal qui auraient investi plus de 30 millions sur le territoire et dont certains sont mis en cause dans des procédures judiciaires en France. Sherpa et la Coalition BMA Canada ont déposé, jeudi 7 juin 2018, une plainte supplémentaire contre une vingtaine de dirigeants de sept pays africains pour blanchiment du produit d’infractions pénales, de détournements de fonds publics, d’abus de biens sociaux, de corruption et d’abus de confiance.

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Djibouti :  Sherpa et le Collectif européen de la diaspora djiboutienne (CEDD) ont déposé une plainte le 16 octobre 2018 pour abus de biens sociaux, détournement de fonds publics, abus de confiance et corruption d’agents publics étrangers contre des membres de l’entourage du président de Djibouti, Ismaïl Omar Guelleh, au pouvoir depuis dix-neuf ans.

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[1] Cette hypothèse serait alors conforme aux dispositions de la convention des Nations unies contre la corruption (convention UNCAC, ou convention de Merida adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 31 octobre 2003), qui prévoit en effet qu’il appartient aux États d’agir en matière de restitution des avoirs, et encourage également la participation active de la société civile.

Dernière modification: 11 août 2022
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