Nouvelle
Impunité des multinationales

COMILOG face au collectif de ses anciens travailleurs

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Les Faits…

La Société COMILOG a été constituée en 1953 afin d’exploiter un gisement de manganèse situé au Gabon près de la ville de Moanda. En raison de la distance entre la mine et la côte gabonaise, un téléphérique reliant la ville de Moanda à la ville de Mbinda située au Congo a été construit, ainsi qu’une voie ferrée permettant d’évacuer le minerai par le port de Pointe Noire.

En 1991, à Mvoungouti, près de Pointe Noire, un accident de train tracté par une machine COMILOG a fait une centaine de morts et près de trois cent blessés. À la suite de cet accident dramatique, la direction de COMILOG a décidé, sur injonction des autorités gabonaises, de suspendre le trafic du manganèse par la voie ferrée congolaise, et a licencié l’ensemble des travailleurs au Congo sans préavis.

La Société n’a pas versé la moindre indemnité aux travailleurs licenciés et a même refusé de leur remettre un certificat de fin de travail, document pourtant essentiel pour bénéficier d’une retraite et justifier des nombreuses années de travail effectuées.

Le Contentieux…

Française durant la colonisation, la société Comilog le serait restée du fait d’un accord intervenu en 1959 entre la France, le Gabon et le Congo pour permettre à cette société de conserver sa nationalité française en prévision de l’indépendance. Sur le fondement du déni de justice et de l’article 15 du code civil permettant de traduire tout défendeur français devant les tribunaux français, Sherpa appelle le juge à se reconnaître compétent sur ces licenciements.

Le 20 juin 2013, la cour d’appel de Paris rend un arrêt déclarant les juridictions françaises compétentes pour statuer sur les demandes dirigées contre les sociétés Comilog France et Comilog International, accueillant ainsi l’argument de Sherpa sur le déni de justice. Cette décision ouvre la voie aux victimes de sociétés françaises à l’étranger qui n’auraient aucun autre moyen d’obtenir justice qu’à travers la justice française.

Les juridictions françaises compétentes pour ce litige

Elle renvoie les parties à une nouvelle audience prévue le 5 juin 2014, où elles seront entendues sur la communication de pièces et sur le fond de l’affaire.

Comilog - © D.R.

Comilog – © D.R.

Le travail de Sherpa sur ce dossier et l’arrêt de la cour d’appel de Paris permettent une double avancée :

  • au niveau humain : en permettant à 867 personnes et leurs familles d’obtenir réparation,
  • au niveau juridique : en signant le recul de l’impunité des acteurs économiques tout en redonnant l’espoir d’un accès à la justice pour les victimes des multinationales.

L’affaire Comilog est, en outre, emblématique du problème de la responsabilité des groupes de sociétés en matière d’atteintes à l’environnement ou aux droits humains commises pour leurs comptes à l’étranger. La décision des juges d’appel pourrait être une nouvelle étape vers la reconnaissance de la responsabilité juridique des sociétés mères pour les activités de leur filiale violant les droits fondamentaux des travailleurs.

L’intérêt du fondement …

La procédure de l’affaire COMILOG demande à ce que la compétence des juridictions françaises soit reconnue à l’égard des sociétés COMILOG, COMILOG France et COMILOG INTERNATIONAL, sur le fondement de l’article 15 du code civil, et du déni de justice. Celle-ci est basée sur une rupture abusive des contrats de travail devant le Conseil des prud’hommes français. Au niveau juridique, c’est une première judiciaire considérable puisqu’après huit ans de procédure, la Cour d’Appel finit par reconnaître sa compétence pour juger l’affaire, sur le fondement du déni de justice. Elle condamne en France une société de droit gabonais pour ses agissements à l’étranger, sur des contrats de travail salariés congolais. La Cour considère que le lien de rattachement entre le litige et la France est suffisant du fait de la nationalité française de sa maisonmère actuelle : Eramet.
Le déni de justice cependant est un cas rare et particulièrement délicat à utiliser pour donner accès à la justice en France aux victimes. Ceci prouve qu’une loi générale sur le devoir de vigilance des maisons-mères et donneuses d’ordre, donnant accès à la justice en France à ces victimes, est d’autant plus nécessaire.

 

Ce que le travail de Sherpa permet …

Après 23 années de bataille, les anciens salariés de la Comilog qui avaient saisi le Tribunal du Travail de Pointe Noire au Congo en 1992, obtiennent, le 10 septembre 2015 devant les tribunaux français, la condamnation de la société Gabonaise à leur payer des indemnités suite à la rupture de leurs contrats de travail. Ces arrêts, qui vont régler individuellement le sort de 857 travailleurs ayant pourtant subi le même dommage, démontrent également la nécessité d’étendre en France la notion d’action de groupe ou de « class action » à d’autres actions que les actions de consommateurs et permet à Sherpa de continuer le plaidoyer à ce sujet.

Procédures et dates clés…

 9 novembre 2007 – 857 anciens salariés de la Société COMILOG assignent les sociétés COMILOG, COMILOG FRANCE, COMILOG INTERNATIONAL et COMILOG HOLDING devant le Conseil de prud’hommes de Paris pour rupture abusive des contrats de travail.

8 octobre 2008 – 1ère audience devant le Bureau de conciliation du Conseil de prud’hommes de Paris. Cependant, en raison de l’absence d’un des avocats de la société, l’audience est reportée au 22 juin 2009.

22 juin 2009 – 2ème audience devant le Bureau de conciliation du Conseil de prud’hommes de Paris.

28 novembre 2009 – Le Bureau de conciliation rejette l’ensemble des demandes au motif qu’il ne lui appartient pas de trancher une difficulté sur la question de la nationalité de la Société COMILOG.

13 octobre 2010 – 1ère audience devant le Bureau de jugement du Conseil de prud’hommes de Paris.

26 janvier 2011 – Jugement du Conseil de prud’hommes qui rejette la demande des travailleurs congolais sur le fondement de l’incompétence du for français sur le litige.

Février 2011 – Le Bureau de jugement s’étant déclaré incompétent sans se prononcer sur le fond, les anciens travailleurs de la Société COMILOG interjettent appel de la décision par la procédure du contredit, espérant de la Cour d’appel qu’elle évoque le dossier en se reconnaissant compétente, et traite au fond.

11 avril 2013 – Audience d’appel devant la Cour d’appel de Paris. Léopold Moukouyou, président du Collectif des Anciens Travailleurs de la Société COMILOG n’a pas pu être présent dû à un refus tardif de son visa.

20 juin 2013 – Arrêt de la Cour d’appel de Paris qui accueille le contredit et déclare les juridictions françaises compétentes pour statuer sur les demandes dirigées contre les sociétés COMILOG FRANCE et COMILOG INTERNATIONAL.

28 janvier 2015 – Arrêt de rejet de la Cour de cassation sur l’irrégularité de la procédure, la litispendance et la compétence.

10 septembre 2015 – Arrêt de la Cour d’appel de Paris : la Cour d’appel reconnaît la compétence des juridictions françaises sur le fondement du déni de justice.

Courant 2015 – pourvoi des deux parties. Attente de l’arrêt de la Cour de cassation.