Nouvelle
Impunité des multinationales

Afrique de l’Ouest : un an du projet Vigilance, 30 organisations formées sur la responsabilité des entreprises

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14 septembre 2022

Dans le but de lutter contre les atteintes aux droits humains et à l’environnement par les entreprises en Afrique francophone, Sherpa et ses partenaires RSE-et-PED France, RSE-et-PED Togo, RSE Bénin et La Lumière (Sénégal), mettent en oeuvre depuis juillet 2021 le projet intitulé « Développer les capacités de la société civile au Bénin, au Togo et au Sénégal pour faire respecter par les entreprises les droits humains et le droit de l’environnement, et permettre la mise en place de politiques publiques plus protectrices ». 

Co-financé par l’Agence française de développement (AFD), ce projet se justifie par le manque d’encadrement des acteurs économiques, qui sont pourtant à la source de dommages environnementaux et d’atteintes aux droits des travailleur·e·s et des communautés locales dans ces trois pays.

Dans le cadre de ce projet, qui s’adresse avant tout à des femmes et des jeunes, notre consortium a organisé deux formations d’une semaine sur le sujet : « Atteintes aux droits humains et à l’environnement : quelle responsabilité des entreprises ? ». La première s’est déroulée en mars 2022 à Cotonou, au Bénin, à destination de 15 organisations de la société civile (OSC) togolaises et béninoises. La seconde s’est déroulée en mai 2022 à Kaolack, au Sénégal, à destination de 15 OSC sénégalaises.

Au Bénin, l’ouverture de la formation a été présidée par M. Padonou, représentant du Ministère du développement et de la coordination de l’action gouvernementale. Au Sénégal, la formation a été ouverte par Maître Sène, président du Comité Sénégalais des Droits de l’Homme (CSDH).

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L’objectif de ces formations était de croiser, d’une part, l’expertise de Sherpa, notamment sur la loi française sur le devoir de vigilance et sur la construction d’un droit contraignant aux niveaux national et international, et d’autre part, celle d’expert·e·s nationaux spécialistes des cadres juridiques togolais, sénégalais et béninois.

Les différents modules et les échanges d’expérience vont permettre aux OSC d’ébaucher des plans de mobilisation et de plaidoyer, dans le but de faire évoluer les cadres juridiques de leurs pays pour un plus grand respect des droits humains et de l’environnement par les entreprises.

« Les modules étaient interactifs et très intéressants, je suis satisfaite des échanges et de l’approche participative qui nous a permis d’arriver à une ébauche de projet de plaidoyer. Nous vous remercions de nous avoir permis de travailler sur de nouveaux sujets et nous espérons qu’il y aura un suivi du projet » , témoigne une participante de la formation au Sénégal.

Lors des deux formations, les participant·e·s ont réalisé une cartographie des atteintes aux droits humains et à l’environnement dans leurs pays, permettant d’identifier les secteurs et entreprises les plus problématiques.

Les participant·e·s ont soulevé les nombreux obstacles liés à la documentation de ces atteintes, limitant la capacité d’action de la société civile : difficulté d’accès à l’information, manque de ressources, expertise nécessaire pour la réalisation d’investigations et l’exploitation des données recueillies, etc. Des échanges qui ont souligné l’importance des activités de plaidoyer sur les questions de droit à l’information.


En ce qui concerne les cadres juridiques nationaux, une application effective des textes en vigueur a été identifiée comme nécessaire, ainsi que plusieurs réformes. Des réflexions plus approfondies sont à venir, notamment sur les sujets suivants :

  1. L’indemnisation ou compensation juste, effective et culturellement adaptée des personnes expropriées pour cause d’utilité publique. Par exemple, au Sénégal, selon les communauté et les OSC, la loi n° 1985/02 du 3 janvier 1985 abrogeant et remplaçant le premier alinéa de l’article 31 de la loi 76 – 67 du 2 juillet 1976 relative à l’expropriation pour cause d’utilité publique et aux autres opérations foncières d’utilité publique apparaît comme obsolète et les barèmes appliqués trop faibles. Au Bénin, les riverain·e·s affecté·e·s par des projets d’infrastructure ou de développement ne semblent pas non plus toujours indemnisé·e·s à une juste valeur.
  2. Des préoccupations liées au droit du travail. Par exemple, au Bénin, la loi n°2017-05 du 29 août 2017 fixant les conditions et la procédure d’embauche, de placement de la main-d’œuvre et de résiliation du contrat de travail contribue à faciliter la rupture des contrats et stipule le renouvellement indéfini des contrats à durée déterminée ; tandis qu’au Togo, la société civile s’inquiète des licenciements abusifs de femmes enceintes et des conditions de travail dans la zone franche (créée par la loi n° 89-14 du 18 septembre 1989, la Zone Franche Togolaise permet aux entreprises agréées de bénéficier de nombreux avantages, notamment douaniers et fiscaux).
  3. Le manque de mise en œuvre des codes de l’environnement togolais et béninois, et la nécessité de réformer le code de l’environnement sénégalais, qui date de 2001 et ne répond donc pas aux enjeux actuels, et ce plus particulièrement depuis la découverte de ressources pétrolières et gazières importantes.

Les formatrices et formateurs ont aussi présenté différents mécanismes de recours judiciaires et non-judiciaires à disposition de la société civile et des individus. Les OSC ont également pu discuter des actions en justice et de leurs plaidoyers en cours.

Suite aux formations, trois réseaux nationaux sont en cours de formalisation. Les OSC de chaque pays mettront bientôt en œuvre leurs stratégies de plaidoyer à destination des acteurs institutionnels nationaux, ainsi que leurs plans de formation et sensibilisation à destination de travailleurs et travailleuses dont le droit du travail n’est pas respecté, de communautés affectées par des projets industriels, et de journalistes. La Lumière, RSE Bénin et RSE-et-PED Togo sont les points focaux de ces réseaux, et bénéficient de l’accompagnement de Sherpa et RSE-et-PED France dans la mise en œuvre de leurs activités.

« Je pars très heureuse, renforcée davantage eu égard aux ressources que j’ai eu à ma disposition pendant cette formation. Au retour de cette formation je vais d’abord constituer un relais auprès d’autres organisations de la société civile [togolaise] qui n’ont pas pu faire le déplacement. Et aussi faire partie du réseau d’acteurs qui sera mis en place au Bénin et au Togo afin d’impacter l’environnement des entreprises et le droit des travailleurs togolais. » Akpegnonwou Delali, ONG Fedia de la Coordination des organisations féminines du Togo.

*Le projet Vigilance bénéficie du soutien de l’Agence Française de Développement. Néanmoins, les idées et les opinions présentées ne représentent pas nécessairement celles de l’AFD.