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[Tribune] Esclavage en Mauritanie, les Etats-Unis ont haussé le ton et ils ont raison !

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La France devrait revoir ses relations commerciales et économiques avec la Mauritanie en raison de la persistance de l’esclavage et de la corruption dans le pays.

A l’occasion de la révision annuelle du programme Africa Growth and Opportunity Act (AGOA), les Etats-Unis ont retiré à la Mauritanie le statut de partenaire commercial privilégié en Afrique en raison de la persistance de pratiques de « travail forcé » et d’« esclavage héréditaire ».

Cette remise en cause des accords commerciaux entre les deux pays est effective depuis le 1er janvier 2019. Plusieurs pays ont déjà été suspendus du programme AGOA pour non-respect des droits sociaux ou politiques dont, entre autres, la République démocratique du Congo en 2010, le Sud Soudan en 2014 ou encore le Burundi en 2015.

En Mauritanie, l’Etat de droit demeure une illusion tant le pays reste gangréné et ravagé par la corruption, comme le dénoncent inlassablement depuis des années et sans être suffisamment audibles l’opposition, des organisations de la société civile et des organisations internationales.

A la suite de l’arrestation de Biram Dah Abeid le 7 août 2018, figure emblématique de la lutte contre l’esclavage, et de journalistes et militants anti-esclavagistes, dix ONG, dont Amnesty International, Anti-Slavery International ou encore Freedom United, avaient lancé une pétition récoltant 230 000 signatures et demandé au gouvernement mauritanien de mettre un terme au harcèlement et à l’intimidation des militants, et de « prendre des mesures pour garantir que la justice et l’État de droit prévalent en Mauritanie  (https://www.freedomunited.org/advocate/mauritania/)».

Biram Dah Abeid est le dirigeant de l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA), une organisation qui se bat contre l’esclavage et d’autres violations des droits humains en Mauritanie. Biram Dah Abeid a reçu plusieurs prix internationaux pour son combat, dont le Prix des droits de l’Homme des Nations Unies en 2013. Malgré son arrestation, Biram Dah Abeid a été élu député en septembre dernier et ses partisans demandant sa libération ont été persécutés. Il est finalement sorti de prison le 31 janvier 2018.

Le Haut-Commissariat aux droits de l’Homme des Nations Unies ne cesse d’exhorter le pays à respecter le droit international de protection des droits humains. Depuis décembre 2016 par exemple, la Mauritanie a été condamnée à quatre reprises par le Groupe de travail sur la détention arbitraire. Mais les autorités maintiennent toujours en détention le blogger Mohamed Mkhaïtir, malgré les condamnations internationales et une décision de la Cour suprême mauritanienne ordonnant sa libération depuis novembre 2017. Le gouvernement s’est aussi distingué en 2018 en adoptant une loi condamnant automatiquement à la peine de mort toute personne accusée de « propos blasphématoires » et d’« actes sacrilèges ».

Dans son rapport du 30 mai 2018, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale de l’ONU a indiqué être préoccupé par « la survivance de situations d’esclavage et la persistance de préjugés solidement ancrés dans certaines traditions à ce sujet ».

Le 5 mars 2018, six sénateurs américains avaient écrit  une lettre au Fond monétaire international (FMI) pour protester contre un prêt qu’il avait accordé à la Mauritanie. Les élus estimaient que cet argent n’irait pas aux pauvres, mais dans « les poches » du président Aziz et que ce dernier ne faisait rien pour mettre fin à l’esclavage.

Le 8 septembre 2018, la Mauritanie a refusé l’entrée dans le pays de 12 américains, militants des droits civiques, qui souhaitaient connaître les avancées de la Mauritanie dans l’éradication de l’esclavage. L’Ambassade des États-Unis avait alors rappelé que « l’appartenance raciale et la cohésion sociale sont souvent des problèmes profondément enracinés, dont la solution prend beaucoup de temps du fait des efforts à fournir » et s’était dite préoccupée par ce refus.

L’administration américaine a su se saisir des atteintes dénoncées et faire pression sur le pays en révisant leurs accords commerciaux.

La Mauritanie présente aussi un réel contraste entre la croissance rapide de l’économie et une situation d’extrême pauvreté qui serait en grande partie dû à la corruption.

Sherpa a alerté dans son rapport en 2017 La corruption en Mauritanie, un gigantesque système d’évaporation de l’état de corruption endémique du pays et notamment de l’existence de contrats conclus entre des entreprises étrangères et des sociétés mauritaniennes détenues par des personnes politiquement exposées soupçonnés d’être entachés de faits de corruption (https://www.asso-sherpa.org/wp-content/uploads/2017/09/Sherpa-La-Corruption-en-Mauritanie_Un-gigantesque-syst%C3%A8me-d%C3%A9vaporation-2017.pdf).

C’est notamment le cas de contrats passés avec la société Maurilog, dirigée par Mohamed Abdellahi Ould Yaha, ancien secrétaire d’Etat à l’investissement et proche du président Mohamed Ould Abdel Aziz. Inexistante en 2013, il semble que la société est depuis devenue partenaire des entreprises françaises Total ou Schlumberger (selon le site internet de Maurilog).

Le rapport mentionne également des allégations de corruption visant régulièrement le secteur des mines. C’est en particulier le cas de la mine d’or de Tasiast exploitée par la société canadienne Kinross Gold Corporation. Le 26 mars 2018, la Securities and Exchange Commission (SEC) aux Etats Unis a sanctionné cette société pour violation des dispositions du Foreign Corrupt Practices Act en Mauritanie et au Ghana.

Malgré ces alertes, les entreprises françaises se maintiennent dans le pays et les soutiens financiers français perdurent.

Ainsi, l’activité de Total y est de plus en plus importante. Le 12 mai 2017, Total et la Mauritanie ont signé un contrat d’exploration/production portant sur un bloc d’une superficie de 7.300 km2, dont Total sera opérateur (90%), aux côtés de la Société Mauritanienne des Hydrocarbures et de Patrimoine Minier (SMHPM) qui détiendra les 10% restants. Le 12 décembre 2018, Total a annoncé avoir signé un nouveau contrat d’exploration/production portant sur les blocs C15 et C31.

Quant à l’Agence française de développement (AFD) elle soutient onze projets en Mauritanie dont des programmes de santé, d’assainissement et la création d’une centrale hybride solaire photovoltaïque-thermique, pour plusieurs dizaines de millions d’euros.

La France apporte également un soutien financier important aux pays du G5 Sahel, dont fait partie la Mauritanie, pour lutter contre les groupes djihadistes actifs dans la région du Sahel. Le 23 février dernier, l’Union européenne avait annoncé qu’elle contribuerait à hauteur de 100 millions d’euros et la France devait compléter son effort à hauteur de 8 millions, essentiellement sous forme de matériel. Le 2 juillet 2018, Emmanuel Macron s’est d’ailleurs rendu à Nouakchott pour s’entretenir avec les dirigeants des pays du G5 Sahel alors que se tenait dans le pays le sommet de l’Union africaine (UA).

S’il est important d’aider les pays qui en ont besoin à se développer et à lutter efficacement contre le terrorisme, cela ne saurait se faire au mépris des droits de l’Homme.

Comme les Etats-Unis, la France et l’Europe doivent prendre rapidement des mesures efficaces pour faire pression sur le régime en place à Nouakchott pour que cessent les atteintes aux droits humains en Mauritanie, et que soient prises des mesures effectives de lutte contre la corruption.

Franceline Lepany, présidente de Sherpa et Sylvie O’dy, présidente du Comité contre l’Esclavage Moderne