Nouvelle
Impunité des multinationales

La décision de la Cour suprême dans l’affaire Kiobel c. Royal Dutch Shell Petroleum marque un recul dans la protection des droits humains face aux entreprises transnationales

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Le 17 avril 2013, la Cour Suprême des États-Unis a rendu sa décision finale dans l’affaire Kiobel c. Royal Dutch Shell Petroleum par laquelle elle confirme l’arrêt de la Cour d’appel jugeant irrecevable l’action civile de plaignants nigérians reposant sur l’Alien Tort Claim Act (ATCA).

Responsabilité des entreprises et droits humains : quand la territorialité sert de refuge à l’impunité

L’entreprise néerlandaise Shell ainsi qu’une filiale nigériane étaient accusées d’avoir aidé et encouragé des crimes contre l’humanité, tortures et exécutions arbitraires commis par l’armée nigériane contre des villageois de la région d’Ogoni afin d’assurer la protection de son forage pétrolier au Nigeria.

Le rejet de leur plainte déposée en 2002 devant le Tribunal du District sud de New York avait été confirmé par la Cour d’appel le 17 septembre 2010 indiquant que les entreprises ne pourraient pas être tenues responsables en vertu de l’ATCA. Institué par une loi de 1789, l’ATCA permettait la compétence des juridictions américaines pour des recours en responsabilité civile engagés par des citoyens non-américains victimes de dommages commis à l’étranger en violation du droit international et à l’encontre de personnes situées sur le sol américain. Cette loi de « compétence quasi-universelle » demeure la plus aboutie pour les victimes d’entreprises transnationales dont les abus restent trop souvent impunis dans les pays où ils sont commis.

Pourtant, la décision de la Cour Suprême dans l’affaire Kiobel contre Shell vient en réduire fortement la portée. En effet, la cour suprême s’est fondée sur le principe doctrinal de présomption contre l’extraterritorialité pour préciser le champ d’application de l’ATCA en considérant que cette loi n’a pas en principe à s’appliquer aux actes commis en dehors du territoire des États-Unis. Le fondement à ce principe étant politique : juger de manière croissante de faits commis à l’étranger sur le fondement de l’ATCA pourrait aboutir à des tensions diplomatiques entre les États-Unis et d’autres États.

Prévalence des enjeux diplomatiques et politiques sur le respect du droit

Si cet arrêt réduit considérablement le champ de l’Alien Tort Statute, la Cour prévoit que la présomption contre l’extraterritorialité pourrait être écartée lorsque des « liens étroits » sont constatés entre le litige et les États-Unis. Ainsi une société pourrait voir sa responsabilité engagée sur le fondement de l’ATCA pour ses activités à l’étranger dès lors que la présence de son siège social sur le sol américain suffit à caractériser un lien étroit avec les Etats Unis. De ce fait, la position de la Cour Suprême dans l’affaire Kiobel suffit à faire trembler cet arsenal juridique qui jusqu’à présent constituait un outil important de lutte contre l’impunité des entreprises à travers le monde.

Sherpa regrette que la Cour Suprême ait choisi de réduire l’accès au droit à un recours effectif dans un contexte pourtant propice à un renforcement de la RSE : la multiplication croissante des recours mettant en cause des entreprises dans le non-respect des droits de l’Homme ainsi que l’adoption récentes de normes internationales en la matière (principes directeurs de l’ONU et de l’OCDE) démontrent que la violation des droits n’est pas l’apanage des personnes physiques et que des moyens existent pour répondre aux problèmes soulevés par la criminalité mondialisée.

Pour plus d’informations:

Pour un rappel historique de l’affaire

Cf. http://www.ccji.ca/f/programmes/dossiers/index.php?DOC_INST=13

Pour une analyse des arguments des parties dans l’affaire Kiobel, voir le site du Center for Justice and Accountability

Cf. http://cja.org/section.php?id=510