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Convention Judiciaire d’Intérêt Public : Le Conseil d’État permettra-t-il d’interroger la place des victimes ?

Paris, 5 juillet 2022, Demain, le Conseil d’État examinera la question prioritaire de constitutionnalité déposée par François Ruffin et le journal Fakir concernant la place des victimes dans les conventions judiciaires d’intérêt public. Pour Sherpa, qui dénonce les limites du dispositif et l’absence de statut pour les victimes, le Conseil d’État doit renvoyer la saisine au Conseil Constitutionnel afin qu’il puisse questionner la conformité aux droits et libertés garantis par la constitution de cet outil de justice négociée. 

Ces deux dernières années ont été marquée par le développement de la justice négociée par le biais de la mise en œuvre de CJIP au profit des entreprises. Pour rappel, le 30 novembre 2022, suite à la conclusion d’une CJIP entre Airbus et le parquet national financier pour des faits révélés dans le cadre de l’affaire dite du « financements Libyens » de la campagne du président Nicolas Sarkozy, Sherpa avait déjà déposé une question prioritaire de constitutionnalité similaire. 

Cette QPC avait fait l’objet d’un rejet de la part du tribunal judiciaire de Paris, qui avait énoncé qu’en l’absence de droits accordés aux victimes de la corruption dans la procédure, ces dernières ne peuvent être vues comme des « parties » au procès, et n’ont de ce fait aucune possibilité de déposer une QPC. Une décision qui soulignait d’ores et déjà l’urgence d’un débat sur les droits accordés aux victimes dans le cadre des CJIP.  

Privées de capacité à faire valoir de manière équitable leurs droits et en particulier celui de voir leur dommage justement réparé, les CJIP procèdent à une mise à l’écart des victimes de la corruption. Les entreprises ont la pleine maitrise de la procédure, taillée pour servir leurs intérêts. Dans les cas où une victime est identifiée, elle ne peut pas s’opposer au choix de recourir à la CJIP, elle n’a pas de réelle faculté de négocier, et ne peut que transmettre des éléments pour faire valoir ses préjudices et demander le recouvrement sans en négocier le montant. Plus encore, aucune voie de recours contre la décision (l’ordonnance d’homologation) d’une CJIP n’est possible, empêchant toute contestation du contenu des CJIP par les victimes. 

Des constats d’autant plus problématiques compte tenu de la spécificité des CJIP qui permettent l’ajout de délits connexes, à savoir des infractions différentes commises par les mêmes personnes. Même si une information judiciaire est ouverte sur ces infractions, ces faits, sont ainsi traités en dehors du circuit judiciaire classique, évitant ainsi aux entreprises des procès publics.  

Les victimes sont privées très largement des droits qui leur sont habituellement accordés par la procédure pénale ; le recours à la CJIP semble aller à l’encontre des droits consacrés par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ainsi que d’autres libertés constitutionnellement garanties. 

À la veille de l’audience, Sherpa souligne à nouveau les dangers de la justice négociée en matière de criminalité financière, et du développement d’un droit dérogatoire concernant les entreprises et leurs dirigeants. Il est essentiel que le Conseil Constitutionnel puisse être saisi de la question des droits des victimes de la corruption dans le cadre des procédures de CJIP. 

Dernière modification: 5 juillet 2023
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