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Impunité des multinationales

Guerre au Yémen : Le Conseil d’État refuse d’examiner la légalité des ventes d’armes de la France

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Yemen-Conseildetat

Le Conseil d’État a rejeté le 27 janvier 2023 le pourvoi de plusieurs associations qui demandaient la suspension des ventes d’armes françaises aux pays membres de la coalition menée par l’Arabie saoudite impliqués dans la guerre au Yémen. La plus haute juridiction administrative reste donc silencieuse sur la conformité aux engagements internationaux de la France des licences d’exportations d’armes délivrées par le gouvernement.

Cette décision intervient à la suite du recours de l’association Action Sécurité Éthique Républicaines (ASER) qui, en mai 2018, a saisi le tribunal administratif de Paris pour faire annuler le refus du Premier ministre de suspendre les licences d’exportation d’armes à destination des pays impliqués dans la guerre au Yémen.

Pour l’ONG, les licences violeraient les engagements de la France, notamment le Traité sur le commerce des armes, ainsi que la Position commune européenne régissant les exportations d’équipements militaires [1]. Ces textes prévoient qu’un État ne doit pas autoriser d’exportation d’armes vers un pays où il existe un risque qu’elles puissent être utilisées en violation du droit international humanitaire.

Le 8 juillet 2019, le tribunal administratif avait reconnu sa compétence pour examiner la légalité d’une décision concernant une licence d’exportation, mais avait toutefois rejeté la demande d’ASER, qui a donc fait appel. Le 26 septembre 2019, la cour d’appel s’est déclarée incompétente et a de nouveau rejeté la demande d’ASER et des associations ayant rejoint l’action (Sherpa, Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture, Action contre la faim, Médecins du monde, Salam for Yemen). Face à cette décision, les associations ont déposé un recours auprès du Conseil d’État.

Le 27 janvier 2023, le Conseil d’État a confirmé l’ordonnance de la cour d’appel : la haute juridiction refuse de se prononcer sur la légalité des licences d’exportation d’armes vers les pays impliqués dans la guerre au Yémen. Il considère que le refus opposé par le Premier ministre à la demande des associations relève de la conduite des relations internationales de la France. Il s’agit à ce titre d’un acte de gouvernement qui ne peut pas être examiné par un juge. Le Conseil d’État a dans le même temps rejeté la demande de déclassification des licences et des informations (soumises au secret défense) pouvant permettre d’évaluer leur conformité aux engagements de la France. Cette décision constitue donc un nouvel obstacle au contrôle des ventes d’armes françaises, déjà entravé par l’opacité totale autour de l’octroi des licences.

Ce refus de la juridiction administrative de contrôler les décisions du Premier ministre autorisant des exportations d’armes aux pays impliqués dans la guerre au Yémen ne signifie pas pour autant que celles-ci sont conformes au droit international et que les entreprises qui ont procédé à des exportations sur la base de ces licences seront exemptes de responsabilité devant les juridictions pénales.

Ainsi, Sherpa, le Centre européen pour les droits constitutionnels et humains et Mwatana for Human Rights, avec le soutien d’Amnesty International France, ont déposé plainte en juin 2022 contre des entreprises d’armement françaises pour leur éventuelle complicité de crimes de guerre et crimes contre l’humanité au Yémen. Les entreprises ont le devoir de respecter le droit international humanitaire et donc de ne pas exporter d’armes lorsqu’il existe un risque qu’elles soient utilisées pour commettre des crimes internationaux.

Note

[1] Voir notamment les articles 6 et 7 du Traité sur le commerce des armes, et les articles 1 et 2 de la Position commune européenne, 2008/944/PESC.