Communiqué de presse
Impunité des multinationales

Complicité de crimes de guerre au Yémen : Une plainte déposée contre des entreprises d’armement françaises

- 6min de lecture
Lutter contre l’influence des multinationales sur la fabrique de la norme

Paris/Sanaa/Berlin, le 2 juin 2022Aujourd’hui, Mwatana for Human Rights, le Centre européen pour les droits constitutionnels et les droits de l’homme (ECCHR), et Sherpa, avec le soutien d’Amnesty International France, ont déposé une plainte pénale devant le tribunal judiciaire de Paris contre des entreprises d’armement françaises. Les organisations demandent l’ouverture d’une instruction judiciaire sur les entreprises d’armement Dassault Aviation, Thalès Groupe et MBDA France pour leur éventuelle complicité dans des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité présumés au Yémen, lesquels auraient pu être commis du fait de leurs exportations d’armes vers l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis.

En mars 2015, une coalition militaire dirigée par les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite (ci-après la coalition) a lancé une campagne de raids aériens contre les forces Houthis/ Saleh au Yémen. Pendant ces sept dernières années, jusqu’au récent cessez-le-feu, la coalition a poursuivi sa campagne de frappes aériennes, dont les conséquences ont été particulièrement lourdes pour la population civile

L’Organisation des Nations unies décrit le conflit et ses conséquences comme la « plus grande catastrophe humanitaire » de notre époque, tandis que les organisations internationales, les ONG et de nombreux experts affirment depuis des années que les attaques menées par toutes les parties au conflit, et notamment les frappes aériennes de la Coalition, peuvent s’apparenter à des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Selon de très nombreux documents publiés par des organisations internationales, tout au long du conflit, la coalition a mené d’innombrables attaques ciblant la population civile, ainsi que des logements, des marchés, des hôpitaux et des écoles.

« Les frappes aériennes de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont causé de terribles destructions au Yémen. Des armes produites et exportées par des pays européens, et en particulier par la France, ont pu permettre ces crimes. Sept ans après le début de cette guerre, les innombrables victimes yéménites méritent des enquêtes crédibles sur tous les auteurs de crimes à leur encontre, y compris ceux qui sont potentiellement complices. Nous espérons que les tribunaux français pourront jouer un rôle de manière à combler l’actuel vide vertigineux en matière de responsabilité au Yémen », a déclaré Abdulrasheed Alfaqih, directeur de l’organisation yéménite Mwatana for Human Rights.

Malgré les preuves accablantes montrant que depuis 2015, la coalition a mené des frappes sans discrimination à l’encontre de la population civile au Yémen, durant la période de 2015 à 2020, la France a fourni du matériel de guerre, des munitions et des services de maintenance d’une valeur dépassant 8 milliards d’euros à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis. Le travail de recherche indique que des avions de combat de production française ainsi que des missiles et des systèmes de guidage produits par Thales et MBDA France auraient été utilisés dans le cadre du conflit au Yémen. La plainte déposée soulève le rôle des entreprises françaises qui ont alimenté le conflit mais se sont également rendues potentiellement complices de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité présumés commis par la Coalition.

« Il est primordial que les acteurs susceptibles d’être complices de violations du droit international humanitaire et de crimes internationaux, y compris les acteurs politiques ou économiques occidentaux, soient tenus de rendre des comptes. Le commerce des armes n’est pas une activité neutre : les entreprises sont responsables du respect des droits humains en lien avec leurs exportations et peuvent engager leur responsabilité pénale en tant que complices si elles persistent à exporter des armes tout en sachant qu’elles peuvent être utilisées pour commettre des crimes » a déclaré Cannelle Lavite, co-directrice du département entreprises et droits humains à ECCHR.

L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis figurent parmi les principaux clients de l’industrie française d’armement. Outre l’illégalité probable de ces exportations au regard du Traité sur le commerce des armes et d’autres normes internationales exigeant que les États interdisent les exportations d’armes lorsqu’il existe un risque manifeste qu’elles contribuent à des violations graves du droit international humanitaire, il est nécessaire de déterminer si ces exportations peuvent engager la responsabilité pénale des acteurs susceptibles de contribuer à ces violations, y compris des entreprises.

« Les exportations d’armes alimentent le conflit et la souffrance des yéménites. En enquêtant sur les potentielles responsabilités d’acteurs économiques dans les crimes commis au Yémen, la justice française pourrait jouer un rôle essentiel dans la lutte contre l’impunité et l’accès à la justice pour les personnes affectées par des crimes internationaux » souligne Anna Kiefer, chargée de contentieux et plaidoyer à Sherpa.

Amnesty International France a soutenu l’élaboration de cette plainte en apportant une expertise juridique ainsi que des capacités de recherche, ainsi qu’en fournissant des informations approfondies et crédibles démontrant de quelle manière les armes livrées à la coalition pourraient avoir servi à de nombreuses reprises à commettre des violations graves du droit international humanitaire. L’organisation vient de clore une campagne de deux années appelant la France à plus de transparence ainsi qu’à la mise en place d’un contrôle parlementaire en matière de ventes d’armes.

« L’absence actuelle de transparence en ce qui concerne l’octroi des licences d’exportation explique la quasi-impossibilité de contrôler la légalité de ces licences et de mettre en cause la responsabilité de l’Etat. Les industriels de la défense se cachent derrière ces licences d’exportation. Or une licence ne dédouane en rien les industriels de leur responsabilité en ce qui concerne les répercussions de leurs activités sur les droits humains », comme l’indique Aymeric Elluin, chargé de plaidoyer armes et peine de mort à Amnesty International France.

Si les efforts prompts déployés par la communauté internationale pour enquêter sur les crimes de guerre potentiels commis en Ukraine doivent être salués, une attention et une urgence similaires devraient être appliquées pour garantir l’obligation de rendre des comptes concernant les crimes de guerre commis dans tous les conflits, où qu’ils se déroulent.

En décembre 2019, Mwatana, l’ECCHR, Amnesty International et un groupe d’ONG ont soumis une communication à la Cour pénale internationale, détaillant 26 frappes aériennes distinctes de la coalition militaire susceptibles d’être qualifiées de crimes de guerre. Avec la présente plainte, les organisations réitèrent l’appel à la responsabilité pénale en ce qui concerne les exportations d’armes enfreignant la réglementation internationale et alimentant le conflit. Les juridictions nationales doivent jouer leur rôle en amenant les responsables à répondre de leurs actes.


Communiqué de : 

Sherpa, Amnesty International France, le Centre européen pour les droits constitutionnels et les droits de l’homme (ECCHR) et Mwatana for Human Rights.

Pour plus d’informations : presse@asso-sherpa.org