11 April 2023 – Le 21 mars dernier, la chambre de l’instruction a rendu son arrêt dans l’affaire impliquant Vincent Bolloré ainsi que deux autres cadres de la société concernant notamment des soupçons de corruption au Togo. Confirmant la mise en examen de Bolloré, cet arrêt décisif revient également sur la place de la justice négociée lorsque les faits concernent l’entreprise mais aussi ses représentant légaux.
Pour rappel, des dirigeants du groupe Bolloré sont soupçonnés d’avoir financé la réélection du président du Togo, Faure Gnassingbé, par l’intermédiaire de la filiale Havas du groupe, qui aurait sous-facturé ses services en conseil politique. En échange, le dirigeant africain aurait permis à Vincent Bolloré de décrocher la gestion des ports de Lomé via une autre de ses filiales, Bolloré Africa Logistics.
Pour ces faits la société Bolloré SE, a pu bénéficier d’une procédure de justice négociée par la conclusion d’une Convention Judiciaire d’Intérêt Public (CJIP) aux termes de laquelle elle a dû s’acquitter d’une amende de 12 millions d’euros mais échappe aux autres sanctions pénales dont une très importante : l’interdiction de concourir à un marché public.
S’inscrivant dans cette même logique d’une justice transactionnelle, évitant ainsi l’exposition d’un procès public, le parquet national financier, Vincent Bolloré et les deux cadres de la société se sont mis d’accord sur le recours à des comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC, un « plaider-coupable » à la française) qui prévoyait le paiement d’une amende de 375 000 euros.
Le tribunal correctionnel de Paris avait alors mis un coup d’arrêt à cette tentative de justice négociée en refusant l’homologation des CRPC, ouvrant ainsi la voix à la tenue d’un procès public et justifiant sa décision eu égard à « la gravité des faits reprochés ».
Un arrêt décisif dans la lutte contre les délits financiers
Ce 21 mars, la chambre de l’instruction a confirmé les mises en examens de Vincent Bolloré et des deux cadres de la société et a rejeté les requêtes en annulation tendant à mettre fin à l’instruction ouverte en 2013.
La chambre de l’instruction devait également se prononcer sur l’autonomie entre le traitement des personnes physiques et des personnes morales en matière de corruption. La Cour confirme ainsi que si la CJIP offre la possibilité aux entreprises de bénéficier d’un régime de justice négociée, les dirigeants, personnes physiques, demeurent responsables en tant que représentant légaux de l’entreprise.
Par cet arrêt, la chambre de l’instruction sanctionne la pratique observée d’un parallélisme entre diverses procédures qui permettent de négocier avec la justice et garantissent notamment la confidentialité des débats. Cette tendance à considérer une complémentarité entre ces procédures porte le risque de rendre impossible tout procès public impliquant des personnes physiques dès lors que la société a eu recours à une CJIP. La cour invalide cette tendance vers une convergence des traitements judicaires et marque un coup d’arrêt à la contractualisation du procès pénal en matière de délits financiers.